|
LA CHANSON
DES FEUX ROUGES
Feux rouges qui bloquez le flot
Des voitures sur l'avenue
Étoufferez-vous les échos
Prétentieux des hontes non bues
Que chacun de nous indécent
Porte en ses yeux comme un vacarme
Si bien que quand le soir descend
Le cœur se crispe sur son arme
Feux rouges
qui bloquez le flot
De la tendresse qui remonte
Parfois du fond de notre ego
Quand arrêterez-vous la honte
Rallumerez-vous le printemps
L'amour dessinateur d'images
Les soleils morts d'avoir longtemps
Illuminé tous nos saccages
Feux rouges
qui bloquez le flot
Des idées noyées dans la frime
Vous n'arrêtez pas les vélos
Du mensonge et de la déprime
Et quand ferez-vous donc freiner
Le char huant d'ignominie
Qui nous empêche de semer
La bruyère d'une autre vie
Feux rouges
qui bloquez le flot
Porteur de lettres en bouteilles
Qui faites couler les canots
De sauvetage où appareillent
Les naufragés des fleurs des cours
Quand nous laisserez-vous nous pendre
Au cou de nouvelles amours
Avant qu'il gèle à pierre fendre
Feux rouges
qui bloquez le flot
De nos émotions de nos fièvres
Qui faites échouer les mots
De la passion au bord des lèvres
Nous vous ferons passer au vert
De nos poings porteurs d'énergie
Pour qu'à son brusque train d'enfer
Puisse avancer la poésie
|
Avec
Jacques Nimsgerns, Dieuze (Moselle), 2002
Marseille
(Bouches-du-Rhône), 1972
|
|
|
Jacques
Nimsgerns, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), 2001
|
LE PROPHÈTE
Je n'ai rien
promis aux amants
À tous ces gens qui passent
Je n'ai pas pris d'engagement
J'attendais qu'ils se lassent
Mais comme
tout était pareil
Rien n'était majuscule
J'ai chanté un futur vermeil
Au nez du ridicule
J'ai chanté
la fraternité
Au milieu des galères
J'ai évoqué un grand été
Un hiver éphémère
Je n'ai rien
promis et rien dit
Mais on me le reproche
Comme si ce temps-paradis
Je l'avais dans ma poche
Alors si
vous n'en pouvez plus
Dressez donc ma potence
Ça fera un pendu de plus
Ombre qui se balance
Mais ce n'est
pas comme cela
Que vous aurez la chance
De savoir l'amour ici-bas
Le don et la confiance
Qu'importe
si vous me pendez
Seul au clair de la lune
D'autres viendront se rattacher
À mon chant d'infortune
|
|
|
LE
CHUTIER
Les amis
retrouvés quand la vie te dérange
Ça te fait traverser des champs de mille fleurs
Ça met de la lavande au linge de ton cœur
Ça fait luire la nuit sur des balcons étranges
Dans mon chutier j'ai mis un sentiment orange
La douceur
de la peau dans la désespérance
Ça te fait remonter jusqu'aux sources là-haut
Où brillent les cailloux habillés d'oripeaux
Avant de se noyer sous le flot qui s'élance
Dans mon chutier j'ai mis des gouttes de confiance
Le sommeil
et l'ennui qui remisent tes fibres
Dans le désastre ancien de leurs rêves détruits
Ça te fait sursauter tristement dans la nuit
Avec la rage obscure au bout de ton temps libre
Dans mon chutier j'ai mis un songe en équilibre
Les artistes
flattés du succès qu'on leur prête
Alors qu'on ne voit pas qu'ils crèvent quelquefois
Font renaître en ton cœur un peu du désarroi
Niché dans les vingt ans qui enivrent ta tête
Dans mon chutier j'ai mis d'exténuantes fêtes
Des femmes
sont parties en me faisant la guerre
Quand je voulais manger le printemps de leur peau
Plutôt que de brûler l'ombre de leurs drapeaux
Plutôt que d'arpenter des sentiers délétères
Dans mon chutier j'ai mis tout l'amour de la terre
|
|
|
|
LE
TEMPS DU JIMMY
À l’âge vert le cœur ruisselle
Si nous n’étions pas des lions
Dans ce café où nous allions
Notre épopée était si belle
Et nous nous aimions pas à pas
Lorsque notre vibrant jeune
âge
Ignorait le double-vitrage
Sur ce temps-là il ne pleut
pas
Notre regard était croquant
Quand nos années avaient du
goût
Sur nos pieds nous tenions
debout
Et si crus étaient nos
printemps
Au Jimmy des quatre jeudis
Dans une attitude indolente
Sur une banquette accueillante
Nous fabriquions notre jadis
La journée devant un café
Se déroulait dans la confiance
Pas d’argent mais de
l’espérance
Et des devoirs recopiés
Nous n’étions pas de bons apôtres
Le très grand miroir reflétant
L’immense illusion de ce temps
On était bien vite des nôtres
Il y avait toujours du monde
Un ami ou l’autre arrivait
Avant qu’on ait pu s’ennuyer
L’insouciance était gironde
Il y avait le vieux taulier
Que l’on avait nommé le Gros
Mes manuscrits emplis de mots
Je rêvais de les publier
Dans un nuage de fumée
Tous assis sur l’ample
banquette
Rappelle-toi c’était Georgette
Qui nous servait et on
l’aimait
Le Gros a vendu son café
À un nouveau taulier Marcel
Sa femme se nommait Marcelle
La chère Georgette est restée |
Un jour le temps a sonné
l’heure
Fini le moment des récrés
Il nous a tous éparpillés
Comme on sème à tout vent les
heures
De ce qui fut notre bistrot
Le lieu de nos amours aussi
Notre univers notre Jimmy
Nous n’avons aucune photo
Le café existe toujours
Même s’il a changé de nom
Encore changé de patron
Il y est né d’autres amours
Quand copains nous nous
retrouvons
Rare que nous ne parlions pas
De cet endroit qui nous marqua
Ce lieu sacré d’autres saisons
Si tu reviens dans ce café
Pense à nous tous sans
nostalgie
Certains sont morts d’autres
en vie
Leurs corps sont déjà fatigués
Dans les vergers du souvenir
Pense encore aux vertes années
Quand notre branche bouturée
N’avait pas fini de fleurir
Pense aux amis du temps jadis
Pense à ce qui demeure ancré
Qui sur les murs est imprimé
Souvenir jamais affadi
Pense au Gros et pense à sa
femme
Pense à Georgette la gentille
Qui vivait seule avec sa fille
Quand nous faisions nos jeunes
armes
Jimmy devenu le Texto
La jeunesse est une cueillette
Retrouve ses fruits dans nos
têtes
Près
du lycée Victor-Hugo
|
|